REPORTAGE

« A Samos, Les Migrants Mangent Suisse-Allemand »

Rédaction
Antoine Harari
Thomas Epitaux-Fallot
Année
2016

Une poignée de volontaires bernois assurent les repas de l’ensemble des migrants présents sur l’île. Une tâche herculéenne, assurée dans la bonne humeur.

D’entrée les règles sont claires. Les membres d’Open Borders Kitchen ne veulent pas être photographiés ou même que leurs noms de famille apparaissent. Luisa est intraitable à ce sujet : « Nous ne sommes pas important. Ce qui est grave c’est la situation ». Les cheveux rasés par endroits, des tatouages et des dreads, les membres ne cachent pas leur appartenance à une gauche radicale. Elle tient à préciser : « Nous sommes une cuisine d’urgence, pas une ONG ». Inauguré en novembre, ce projet s’est d’abord tenu le long de la route des Balkans. Arrivé il y a 3 semaines et originaire de Winterthur, Luisa raconte : « Au début en novembre, on était tout seul. On faisait à manger pour 2000 personnes ».

Positionné à proximité du port de Malagari, les sept volontaires de l’organisation suisse campent dans le jardin d’une dame qui soutient leur projet. « Nous faisons à manger dans notre caravane. Principalement du riz, des lentilles et de la cuisine vegan. Il y a un type qui a une épicerie qui nous file des légumes, sinon on va au supermarché du coin».

Seul en cuisine

Vivant grâce aux donations de proches et de sympathisants de leur cause, Open Borders Kitchen possède aussi des membres restés à Berne. Chaque semaine ils se réunissent.
Avec une autre organisation allemande, les bernois offrent la seule alternative pour les migrants en voie d’enregistrement dans le hotspot de Samos. « L’UNHCR ne fait rien. Personne n’a pensé à la partie alimentation. Il n’y a même pas de cuisine dans les hotspots ! C’est hallucinant», s’exclame Luisa. Elle renchérit : « A part l’église et nous, personne ne s’occupe de ça. Mais si les gens ne mangent pas, il y aura des émeutes ».

Fournissant la nourriture à plus de 1400 personnes par jour, Open Borders Kitchen se sent utilisé par les autorités de l’île. « Nous sommes une cuisine d’urgence. Les autorités profitent de la situation pour obtenir de la nourriture gratuitement. Dans ces conditions, nous hésitons vraiment à rester plus longtemps. Le problème, c’est que si nous partons les migrants risquent de ne pas manger pendant plusieurs jours, le temps qu’un autre système se mette en place ».

Intégrer les réfugiés

Leur système d’enrôlement est simple: Il suffit de s’inscrire sur une liste en Suisse. Luisa raconte que les volontaires restent la plupart du temps entre 1 et 2 semaines. Elle explique aussi que les migrants sont souvent coincés sur l’île plus longtemps que prévu : « Ils restent longtemps surtout les mineurs parce que leur enregistrement prend plus de temps. Souvent, ils n’ont pas de papiers ». D’où la décision de les intégrer au projet : « Comme ça nous leur donnons quelque chose à faire. Tous ensemble, ils nous aident à préparer les repas et le thé pour le petit-déjeuner. C’est aussi ça le but ».

Depuis son arrivé, Luisa dit s’être rendue compte de son statut de privilégiée : « Pour arriver ici, je n’ai même pas eu besoin de sortir mon passeport. Alors que les migrants ne peuvent même pas franchir une frontière ».

Un camp à l’abri des regards

Elle nous demande ce que nous pensons des conditions de vie des réfugiés dans le Hot spot : « l’UE met la pression, du coup, ils sont tous parqués là-haut dans des tentes. C’est moche hein ? » Elle condamne une décision prise, selon elle, avant tout pour contenter l’industrie touristique. « Avant, ils (les réfugiés) venaient au port. Maintenant, ils doivent tout faire à pied pour monter jusqu’au hotspot. Personne ne s’occupe du transport ».

Luisa regrette l’absence de courage des décideurs locaux et nationaux. « Ici, personne n’est responsable et personne ne sait rien », résume-t-elle résignée.

Seul point d’encouragement, la police assure depuis quelques jours une partie du transport. « Jusqu’ici, ils disaient que leurs voitures n’étaient pas en assez bon état pour le faire », se marre la volontaire.

Concernant le comportement de la population locale, Luisa dit avoir « des réactions positives de la majorité des grecs. Mais certains nous ont demandé de rentrer chez nous ». Avec ses collègues, Luisa se prépare à faire ses valises, car d’une manière ou d’une autre le départ s’approche. « Le 16 mars nous devrons partir parce que la dame qui nous a prêté son jardin revient et on doit tout nettoyer. Il y a beaucoup de boulot ». Elle avoue avoir du mal à s’imaginer un retour prochain. « C’est dur de repartir. Je pense que je vais continuer ailleurs, là où on aura besoin de nous ».