REPORTAGE
« La vieille dame et la mer »
Antoine Harari
Thomas Epitaux-Fallot
Année
2016
Sur l’île, Kyria Katina est plus connue que le maire. Pas plus tard que la semaine passée, la télévision nationale à même rendu visite à cette drôle de mamie qui a fait de l’aide aux réfugiés son job à plein temps
Kyria est un peu la grand-mère que tout le monde rêverait d’avoir. A la fois joviale et souriante, ses yeux pétillent lorsqu’elle parle. Depuis sa maison qui donne directement sur la plage, elle scrute la mer à la recherche d’embarcations de migrants. Kyria est leur premier point de contact une fois leur traversée terminée. « Les premiers bateaux sont arrivés vers avril-mai, en juin cela a augmenté et dès juillet c’était énorme. J’ai commencé par leur donner de l’eau et ensuite du lait pour les enfants », explique-t-elle doucement. Complètement livrée à elle-même, elle raconte que le pire ce sont les arrivées nocturnes. « Souvent leurs moteurs ne marchent pas bien et ils dérivent. On les entends leurs cris et le bruit de leurs sifflets ». Ne pouvant tourner le dos face à cette situation, Kyria s’est mis à contacter les garde-côtes à chaque fois qu’elle repérait une embarcation en détresse, allant jusqu’à les appeler parfois 4 fois par jours.
« Nous sommes devenus meilleurs amis », s’amuse-t-elle. Petit à petit, les habitants de Samos ont eu vent de cette extraordinaire mamie et de son entreprise colossale. Le soutien afflue et les donations aussi. « Nous avons pu construire une petite cabane pour qu’ils puissent se changer et sécher leurs habits. Avec la nourriture que je reçois, nous préparons un buffet chaque matin ».
Mais malgré tout ce soutien inattendu, Kyria ne cache pas avoir vécu des moments difficiles. En novembre lorsqu’un bateau s’est retourné à quelques centaines de mètres de sa maison, quarante personnes se sont noyées. « C’était comme le débarquement en Normandie. J’étais seule face au désastre ». Elle avoue que ses émotions ont un impact sur sa santé et le nombre de ses visites chez son cardiologue. « A chaque fois que je les entends crier, mon cœur est prêt à exploser. Je ne me sens mieux que lorsqu’ils ont posé le pied à terre ».
Epuisée par le rythme des arrivées, Kyria était parfois trop fatiguée pour se lever. « Lorsque je mettais des paquets de biscuits fermés, les réfugiés n’osaient pas y toucher. Il a fallu que je les ouvre à l’avance et que je mette de l’eau sur le chemin pour les attirer. Mais ils sont très fiers. Parfois ils ne demandent rien», remarque-t-elle.
Elle raconte être passée par tous les états d’âme : « Le matin c’est souvent la peur et la frustration qui m’habite. Mais l’après-midi, après les avoir aidé et que je reçois leur amour pour une simple attention, je me sens tout de suite mieux ».
D’un naturel optimiste, Kyria sourit en permanence. Tout en nous servant un café grec, elle raconte les inimitiés que son action lui à value. « Les voisins n’aident pas, ils sont agressifs avec les migrants. Ils ne viennent que pour prendre les moteurs et récupérer de l’essence ». Au grand dam des riverains, polluée par les bateaux et les déchets que les réfugiés laissent une fois arrivé en lieu sûr, la plage est devenue inutilisable. « Personne ne s’en occupe. Il faudrait percevoir une taxe de 2 euros pour l’enregistrement des réfugiés et avec cet argent nettoyer les plages et organiser leur transport jusqu’au camp », propose Kyria.
Eté comme hiver, il n’est pas rare de croiser des migrants, vieilles personnes, femmes, enfants, en train de marcher au bord de la route. « Une fois arrivés, certains migrants attendaient les policiers sur la plage. J’ai du leur dire qu’ils ne viendraient pas et qu’ils fallait commencer à marcher », explique Kyria à regret. Elle ajoute : « C’est une honte mais la municipalité est invisible. »
Refusant d’abandonner, Kyria en veut au gouvernement de Samos. « Tout ce que je sais, c’est que l’Europe n’arrête pas d’envoyer de l’argent mais qu’il reste dans la banque ». Ironie de l’histoire, Kyria est elle même une réfugiée. Née à Beyrouth (voir vidéo plus bas), Fille d’un militaire grec qui a du fuir lors de l’arrivée des allemands, Kyria y a passé ces quatre premières années. Elle se remémore son arrivée sur l’île. « Dans les années 50 les gens étaient incroyablement pauvre ici. Des vieilles dames mendiaient pour un morceau de pain ». Et ajoute simplement : « Aider c’est mon hobby depuis que je suis enfant. Après tout j’étais aussi un enfant de réfugié »
Le temps de la remercier et de visiter la « cabane de l’amour » qu’elle à construite avec des restes de bateaux, nous remontons le chemin vers la route principale. Là, nous croisons un voisin qui nous interpelle, goguenard: « Alors, c’est bon ? Vous avez fait bien fait votre boulot, vous allez pouvoir ramasser votre chèque? »