REPORTAGE

« Une comédie saoudienne témoigne du combat des jeunes pour exister dans l’espace public »

Rédaction
Antoine Harari
Thomas Epitaux-Fallot
Année
2016

Avec Barakha rencontre Barakha, Mahmoud Sabbagh tacle en douceur les restrictions dont souffrent les saoudiens dans leur vie de tous les jours. Nous l’avons rencontré dans le cadre du festival des films du Moyen-Orient à Florence Synopsis: Barakha est un jeune policier municipal saoudien. Habitant toujours chez sa mère et peu dégourdi, il tombe par hasard sur Bibi, jeune modèle devenue star sur Instagram. N’étant pas mariés, ils devront user de toutes sortes de stratagèmes pour se rencontrer à l’abri des regards…Avec Barakha rencontre Barakha, Mahmoud Sabbagh tacle en douceur les restrictions dont souffrent les saoudiens dans leur vie de tous les jours. Nous l’avons rencontré dans le cadre du festival des films du Moyen-Orient à Florence.

Synopsis: Barakha est un jeune policier municipal saoudien. Habitant toujours chez sa mère et peu dégourdi, il tombe par hasard sur Bibi, jeune modèle devenue star sur Instagram. N’étant pas mariés, ils devront user de toutes sortes de stratagèmes pour se rencontrer à l’abri des regards…

Pourquoi avez-vous eu envie de faire ce film ?

En Arabie Saoudite l’espace public est très restreint, pour les femmes comme pour  les minorités. Parce que j’habite dans cette ville, (ndlr :Djeddah), j’ai de l’amour pour elle et des responsabilités. Mais personne ne voudrait voir un film qui parlerait uniquement  d’espaces publics, cela serait très ennuyeux. Donc, j’ai rajouté cette histoire d’amour un peu maladroite comme fil conducteur.

Ne craignez-vous pas une réaction du gouvernement ?

Je voulais que les gens puissent s’identifier à ce film. J’appartiens à la génération millénium (ndlr: années 2000). En Arabie Saoudite, 70 % de la population a moins de 30 ans. Malheureusement, celle-ci n’a pas voix au chapitre. Ils sont déconnectés politiquement et socialement et n’ont pas de représentation dans les médias.

Je voulais faire un film qui les touche, qui leur donne une voix, un message. Je souhaite que lorsque des membres du gouvernement voient ce film, ils se disent : «C’est ce que les jeunes veulent, c’est ce qu’ils pensent ».

Pensez-vous que c’est ce réalisme qui a fait remporté un prix à la dernière Berlinale ?

Oui, je suis journaliste et je pense que mon film montre l’Arabie saoudite  d’aujourd’hui. D’ailleurs, un de mes amis était dans le film et, lorsqu’il l’a vu, il m’a avoué avoir eu la chair de poule, parce que il n’avait jamais vu Djeddah représentée de façon aussi réaliste. La ville est une des protagonistes du film. C’est un film typiquement saoudien et local. Nous aurions pu faire quelque chose d’offensif et de provocant pour plaire aux européens mais pour nous, comme entrepreneurs, ce n’est pas très durable comme stratégie sur le long terme… (rires)

Justement, les médias européens n’ont-ils pas une idée préconçue de ce qu’un film sur l’Arabie Saoudite devrait être ?

Je connais les limites. Ce que je fais c’est que je pousse le plafond petit à petit, parce que si on pousse trop fort, il va nous tomber dessus d’un coup sec. Je veux pouvoir continuer à faire des films pour les trente prochaines années.

Mais c’est vrai que sur les vingt dernières années, on a parfois l’impression que les festivals européens ne prennent des films du monde arabe que s’ils parlent de l’oppression des femmes, de l’homosexualité ou  de l’islam fasciste.

Je suis très fier que mon film ne soit rien de tout ca. Nous vivons dans une société très sombre et nous avons besoin de films positifs.

Quelle a été la réponse du gouvernement ?

Ils n’ont rien dit, nous vivons dans un système prédéfini qui ignore quasiment tout du cinéma. Il n’y a pas de listes ou de critères qu’il faut remplir. Ce n’est pas comme en Iran, où ils ont un ministère qui s’occupe de ça. Nous n’avons pas d’industrie.  Il existe des séries télévisées et c’est grâce à cela que nous avons obtenu notre permis, même si nous avons fait un film. Nous poussons pour l’établissement de règles. Je suis sûr que les premières années seront difficiles, mais elles doivent nous stimuler en tant que réalisateurs. Comme l’Iran, où les femmes n’ont pas le droit de toucher des hommes ou de montrer leurs cheveux, mais où des films géniaux sont réalisés. Le but n’est pas de choquer les spectateurs juste par principe.

Dans votre film, vous faites l’éloge d’une Arabie Saoudite libérale, celle des années 80. Que s’est-il passé ?

Mes parents ont grandi dans un monde complètement différent. Tout était plus simple. J’avais un voisin italien quand j’étais petit et nous allions regarder des films chez lui et prendre le petit déjeuner. Ce serait impossible aujourd’hui. Dans les années 70, Djeddah était très ouverte, ce n’était pas rare de voir des  femmes en bikinis à la plage.

Ma mère et mon père sortaient et les photos d’eux que j’ai vues étaient complètement différentes. Petit à petit, le gouvernement a commencé à introduire un discours de plus en plus conservateur, mais cela a correspondu avec le pic pétrolier donc tout le monde était content financièrement et les gens ont fermé les yeux.

Aujourd’hui, comment la jeunesse vit-elle ce conservatisme ?

C’est difficile car nous vivons dans une société corsetée avec le risque que cela explose à tout moment. Il y a d’énormes frustrations sexuelles et un combat sociétal qui est en marche. Cela touche toutes les classes de la société. Si je voulais faire un film en Arabie Saoudite sur les cultures alternatives, vous seriez choqué et je serais en prison (rires). J’ai un message, je suis un radical, mais je suis plus vieux et je dois être plus pragmatique, je ne veux pas avoir à vivre aux USA le reste de ma vie.

Votre personnage principal est un policier municipal. Cela a-t-il posé un problème aux autorités ?

Non. Barakha, le héros, est un simple fonctionnaire, il essaie de suivre les règles, même lorsqu’elles frisent l’absurde, afin de  protéger les citoyens. Notre seule rencontre avec la police a eu lieu alors que nous tournions une scène sur l’autoroute. Quand ils ont vu notre permis, ils nous ont immédiatement demandé si nous avions besoin d’acteurs supplémentaires… Il ne faut pas oublier que Djeddah n’a pas de culture cinématographique mais possède une scène Youtube très vivante. C’est un endroit où les gens sont, paradoxalement, habitués aux caméras.

Allez-vous essayer de développer une scène cinématographique en Arabie Saoudite ?

Nous avons lancé une compagnie et nous allons faire une série télévisée de dix épisodes. Nous souhaitons créer une industrie afin de profiter des talents qui sont là. A travers cet écosystème, nous aimerions raconter des histoires aux Saoudiens et au monde. C’est notre mission.

Je veux faire des films que j’aurai du plaisir à regarder. J’ai grandi en voyant des choses qui m’ont déçu. Nous souffrons d’un manque de ressources et de vision. Nos prédécesseurs ne nous ont pas simplifié la tâche. Nous ne voulons pas faire un truc qui plait au box-office. Ce qui compte c’est que cela nous plaise à nous. Un point c’est tout.